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Georges Martinez‚ peintre dijonnais‚ (site : www.artiste–peintre–dijon.fr) a très bien connu Guy Chambret. Georges l'emmenait souvent pour dessiner la campagne dijonnaise. Il devient intarissable en commentant la vie de son ami Guy. Aujourd'hui‚ il nous parle d'une visite à son atelier :
Petite et discrète‚ dans les Hauts de Montchapet‚ la maison de Guy Chambret était de celles qui ont une histoire. Elle se laissait regarder parce qu'elle était jolie au milieu d'un petit terrain tout en friche depuis certainement longtemps. De grosses pierres taillées entouraient porte et fenêtres‚ le reste était crépi et s'en allait peu à peu avec les années. Depuis le vieux portail métallique gagné par la rouille‚ on pouvait voir‚ au ras du sol‚ un soupirail en forme d'éventail encadré lui aussi par des pierres taillées ; c'était là l'unique source de lumière naturelle de l'Atelier‚ le fameux atelier que nous allons visiter. Nous verrons juste après …
Pour être précis‚ il faut dire que la « vraie » maison de Guy Chambret‚ je veux dire celle de ses parents‚ celle de sa jeunesse‚ était la maison d'à côté : un peu plus haute‚ sans être plus grande‚ elle était de même nature et du même âge probablement‚ deux sœurs voisines. Ces deux maisons dataient du début du 20eme siècle et auraient pu témoigner en un souvenir commun‚ des gens qui y avaient vécu.
Un appentis fermé était adossé à la maison des parents‚ côté jardin‚ et donc invisible de la rue qui était en fait une impasse. La première surprise était là‚ étonnante et inattendue; mais‚ avec Guy‚ tout était inattendu‚ le seul à ne pas être surpris‚ c'était lui dans bien des cas ! Une fois‚ il m'a ouvert la porte de cet appentis. Je ne me souviens pas si elle était fermée à clef ou non‚ mais cela revenait à peu près au même. Qui voulait l'ouvrir‚ l'ouvrait !! A l'intérieur de ce qui n'était qu'un assemblage de planches mal jointes‚ recouvert d'un toit de même façon‚ mais tout de même à l'abri de la pluie‚ étaient empilées une centaine de toiles ! les plus grandes derrière‚ les plus petites devant‚ ou même en vrac pour beaucoup. Certaines étaient accrochées sur le haut des murs en bois‚ beaucoup étaient posées sur le sol‚ mi–herbe mi–bois !!
Tous ces tableaux dataient des années 60 à début 70‚ tableaux souvenirs de la guerre d'Algérie‚ de la vie avec ses parents et de paysages de son quartier en train de s'urbaniser. La première toile qui m'a émerveillé‚ je l'ai vue là. C'était une petite indienne avec son bandeau dans les cheveux et une jolie plume. Instinctivement‚ déjà‚ quelque chose vous faisait penser à Van Gogh ! non pas les tableaux eux–mêmes‚ mais le fait d'entreposer dans un simple hangar bricolé‚ toute une œuvre de plusieurs années. Il n'est jamais rien arrivé de désagréable à toutes ces toiles. C'était comme la poussière dans un appartement. Cela s'entassait et laissait indifférents ceux qui n'habitaient pas là ! comme pour Van Gogh ! C'est en 1972 que Guy fera sa première exposition‚ à Dijon‚ et que ses toiles commenceront à attirer l'attention. Mais jusque là‚ il était le seul‚ avec quelques amis des Beaux–Arts‚ à savoir qu'il était peintre !
Ses parents non plus ne le savaient pas‚ ou ne voulaient pas le savoir. Nous étions là dans leur maison‚ leur ancienne maison‚ puisqu'ils sont décédés à un an d'écart‚ en 1969 et 1970. Ils n'auront jamais vu leur fils devenir l'Artiste qu'il avait toujours rêvé d'être‚ et ce fut pour Guy une immense peine‚ une de plus; il m'en parla souvent … Il avait pour ses parents un double sentiment‚ mais l'amour finissait toujours par l'emporter. Etant fils unique‚ il était l'objet de toute leur attention‚ or cela ne présente pas que des avantages‚ comme on sait.
Il me parlait souvent de son père avec beaucoup d'admiration dans un premier temps. « Il a la médaille d'argent du travail. A 18 ans‚ il part à la guerre de 14–18‚ voyage beaucoup‚ connaît 18 puissances et part au front. Blessé‚ il est soigné et retourne au front. Il a la Croix de Guerre et une Citation … » écrivit Guy dans un résumé de sa vie. Admiration d'un fils pour le père‚ transformé un peu en héros et en aventurier. Plus tard‚ et toujours dans les bons souvenirs‚ Guy me parla souvent des parties de pêche dans la Saône‚ le dimanche : « Papa n'est jamais rentré bredouille …! » Ce père bénéficiait‚ enfin‚ d'une reconnaissance sincère : avoir permis à son fils d'entrer à l'Ecole des Beaux–Arts en 1953‚ une bourse de l'Etat lui permettant de pourvoir à ses études.
Pour le reste … Il en voulait surtout à son père de ne jamais l'avoir compris dans son désir de devenir Artiste. Il a écrit à ce sujet : « Cette grande idée de devenir peintre allait donc s'arrêter là ! Et puis‚ j'étais gêné‚ il me fallait gagner ma vie. Je le pensais aussi. Mais ce refus de mes parents m'a fait bien mal ! » Quand il dit parents‚ il faut entendre « père »‚ celui qui décide. Mais ce premier refus (d'autres viendront) est celui qui va le hanter toute sa vie et dont il me parlera souvent. Son père était un ouvrier digne d'un roman de Zola‚ il débuta comme mitron‚ puis travailla 10 ans dans une scierie et 30 ans comme brancardier à l'Hôpital de Dijon‚ dans des conditions de chaleur et d'humidité qui n'ont plus cours maintenant. Ceci pour dire que le monde de l'Art lui était complètement étranger‚ et Guy comprenait cela malgré tout; bien sûr mais tout de même … !
Sa mère‚ elle‚ suivait ce que disait son mari comme le faisaient la plupart des femmes à cette époque …
Il l'aimait énormément‚ même si‚ elle non plus‚ ne le comprenait pas. « Je voudrais peindre. Peindre quoi ?
dit maman. Hé bien ! tout ce que j'ai à dire ! Maman hausse les épaules … »
Ses parents l'aimaient à leur façon‚ lui ayant permis de jouer de l'harmonica dès l'âge de 7 ans et
il était très doué. Ils l'ont laissé faire quand il s'est engagé dans plusieurs troupes artistiques
pour jouer et se produire sur scène‚ les samedis et dimanches. Il aurait d'ailleurs pu suivre dans
cette voie‚ sa grande fierté était de dire qu'il avait joué‚ à Paris‚ en première partie d'Annie Cordy.
J'ai eu en mains un disque vinyl 45 tours bien sûr‚ qu'il avait réussi à produire avec deux amis. Ce
n'était pas « Guy Chambret »‚ mais « Guy Bréchan ». « C'est plus vendeur‚ comme
nom » m'a–t–il dit !!! Pas si naïf que ça‚ notre Guy !
Malgré tout ceci‚ et après d'autres péripéties‚ car sa vie entière est un roman‚ parfois à peine croyable‚ voici l'impitoyable verdict qu'il formule lui–même : « J'ai un peu plus de 24 ans et je suis à charge de mes parents … cela ne tourne pas comme je l'avais imaginé. Il faut renoncer à la peinture … » Il ne renoncera pas. Mais pour l'instant‚ fin 1959‚ on en est là : « peindre‚ ce n'est pas un métier » dit ma famille … Si vous vous reportez à la vie de Van Gogh‚ vous aurez‚ là encore‚ un peu la même histoire.
Et si nous revenions à la maison du début‚ celle où Guy vivait‚ celle de son atelier. En réalité‚ c'était la maison de Béatrice‚ dite « la Bébée »‚ voisine de ses parents à l'origine. « Aah! la Bébée ! » tout un roman‚ là aussi. Guy en était tombé réellement amoureux. Et‚ après la mort de ses parents‚ c'est tout naturellement qu'il avait déménagé de 25 mètres‚ et était venu habiter chez elle‚ avec elle. Elle était divorcée‚ son deuxième mari s'était suicidé … etc‚ un roman‚ vous disais–je. Il faut ajouter une précision qui a son importance‚ sauf pour Guy : elle avait 18 ans de plus que lui … ! Toute petite personne‚ à la voix cassée et inimitable qui fonctionnait continuellement. A se demander comment autant de paroles pouvaient tenir dans aussi peu de femme !
Seulement voilà‚ elle représentait une sorte de frontière sur le seuil de la porte qu'il fallait réussir à franchir. Si vous ne lui conveniez pas‚ vous n'entriez pas ! Beaucoup en ont fait l'amère expérience. Si vous étiez une femme‚ et seule de surcroît‚ alors là‚ c'était perdu d'avance ! Elle était maladivement jalouse‚ et Guy adorait les femmes‚ toutes les femmes … Une astuce était de lui parler du tiercé‚ des courses de chevaux‚ des paris‚ des tuyaux … Elle était fanatique de ces choses–là‚ et passait son temps à jouer (parfois à gagner) en regardant à travers sa vitre le peu de gens qui venaient se perdre dans l'impasse.
Enfin‚ admettons. Vous êtes entrés dans la demeure pour voir Guy … Il faut vous préparer à quitter le monde que vous connaissez pour rentrer dans un autre. Guy est là‚ souriant et chaleureux. S'il n'a pas sa pipe à la main‚ c'est qu'il l'a oubliée en bas‚ là où on va aller. Quiconque voulait faire un portrait de Guy commençait par la pipe‚ attribut incontournable du personnage (on en retrouve énormément dans ses natures mortes).Il faisait son mélange de tabac lui–même‚ toujours pareil : Un paquet de « Gris » et un paquet de « Clan ». C'était comme cela depuis le début‚ et ça ne changera jamais. Un pot en grès‚ auquel il tenait beaucoup‚ en conservait de grandes quantités‚ toutes prêtes.
Après avoir traversé la salle‚ où tout faisait penser à autrefois‚ (sofa‚ toile cirée …) même l'odeur doucement acre de la cire sur le vieux plancher (car Béatrice était méticuleuse sur la netteté des choses)‚ vous arriviez devant la porte qui vous mène à l'atelier. Un dernier coup d'œil. Pas de tableau de Guy aux murs ! Juste un grand et beau portrait dans un cadre ovale‚ portrait ayant un rapport avec la vie de Béatrice‚ je ne me souviens plus lequel. J'ai toujours vu ce portrait‚ même dans l'autre appartement quand la maison a été vendue. Dans cet autre appartement‚ le dernier‚ Béatrice avait ajouté aux murs deux tableaux de Guy : un paysage de neige et un cheval avec son jockey pendant une course‚ alliant ainsi l'Art de Guy et sa passion pour l'hippisme. Je pense qu'elle aimait la peinture de Guy mais elle n'en parlait pas « C'est toujours un peu pareil » se contentait–elle de dire.
La visite rendue à mon ami aujourd'hui‚ se situe dans les années 1980 à 85‚ c'est–à–dire à une période où Guy était «bien» physiquement‚ professionnellement et mentalement‚ parce qu'il ne faut jamais perdre de vue qu'il a eu plusieurs vies qui‚ additionnées‚ n'en font qu'une‚ mais qui‚ séparément‚ auraient pu être vécues par des personnages différents. Le parallèle avec Van Gogh s'impose une fois encore. Mais Guy a tout vécu et a enduré des situations à la limite de ce qui est supportable pour une majorité d'entre nous. Avant de descendre dans l'atelier‚ puisqu'il s'agit d'une cave‚ restons sur la poignée de la porte‚ le temps d'une courte réflexion‚ peut–être même d'une mise au point. Le mieux serait de ne pas interpréter les phases de la vie de Guy Chambret‚ respectons son intimité spirituelle‚ sa vie est finie. Quelques faits sont établis‚ puisqu'il les a écrits noir sur blanc; J'ai été témoin de certains autres‚ il est inutile d'en rajouter. Le peintre nous intéresse avant tout‚ mais sa vie et son œuvre sont tellement liées …
Personne ne peut certifier ce qu'il s'est passé exactement dans l'enchaînement confus du tourbillon de sa vie. Je n'ai‚ tout compte fait‚ que la version de Guy‚ qui était l'être le plus sincère du monde. J'ai été‚ certes‚ témoin de certaines étapes douloureuses‚ de certaines de ses réactions violentes‚ mais très peu. Je ne retiens de lui‚ au final‚ que son côté merveilleux‚ que les moments d'une intensité extrême que j'ai passés avec lui ! Pour moi‚ Guy‚ ce n'était pas « un » peintre – il y en a tellement – c'était « Le » peintre. Alors‚ bien sûr‚ certains m'ont raconté des épisodes pénibles dans leur intensité‚ mais comment savoir ? Tout est difficile à démêler. Je dirai‚ moi‚ avec certitude‚ qu'il avait parfois des hallucinations auditives. Il me les faisait vivre‚ il les vivait et il était inutile de le dissuader. Pour le reste‚ … je me contenterai de lire ce qu'il a écrit‚ on pourrait tellement en faire une légende … Un dernier mot : les hallucinations auditives étaient les mêmes‚ exactement‚ que celles de Van Gogh.
Je l'ai connu heureux‚ il me le disait‚ le disait à tout le monde‚ tout fort quand il entrait galerie Vauban‚ à Dijon‚ où il a exposé 12 fois en 24 ans ! un record ! Et quand il était dans cet état de bonheur‚ il rayonnait … ! Ceux qui n'ont connu Guy qu'à cette époque (entre 1971 et 1985 à peu près) en ont gardé un souvenir enchanté‚ il savait aussi être un personnage de conte de fées. Dans son costume de velours‚ les mains toujours un peu colorées des restes de sa palette‚ la pipe bien sûr‚ il transpirait l'image de l'artiste. Très affable‚ il parlait à tout le monde sans distinction‚ avec un enthousiasme communicatif. Il avait parfois un petit harmonica sur lui‚ n'hésitant pas à en jouer‚ dans les bars de la ville‚ comme ça‚ pour rien‚ pour le plaisir. C'était là un reliquat de souvenirs heureux‚ d'un petit morceau de sa vie à Paris‚ quand il se produisait sur les planches‚ quand il gagnait de l'argent‚ quand il allait voir les prostituées sans être rongé de remords en pensant au châtiment divin‚ comme ce sera le cas ensuite … C'était avant de tomber malade et de connaître : « cette saleté d'hôpital‚ cette vilaine sale chambre‚ ces piqûres‚ ces cachets ! Electrochocs sur électrochocs. » Il m'a souvent répété qu'il était extrêmement heureux‚ parce qu'il avait été extrêmement malheureux. Il m'a dit tant de choses‚ et que finalement‚ ce qu'il regrettait le plus‚ c'était de ne pas avoir été dans la «Vraie Vie»‚ c'est–à–dire de ne pas s'être marié et de n'avoir pas eu des enfants. « Des tableaux … ce n'est pas pareil ! » Il me l'a confié souvent aussi ça‚ avec un immense sourire dans ses yeux pétillants. Mélange de regrets et d'humour.
Mais‚ une chose avait été réussie‚ merveilleusement et qui était le but de sa vie‚ être devenu enfin : « Artiste Peintre à temps complet ! » Il s'était retrouvé 26 métiers avant l'aboutissement. Un peu tout d'ailleurs mais tout est vrai : Berger‚ imprimeur‚ graveur sur bois‚ plastique et zinc‚ étalagiste‚ barman‚ employé de teinturerie‚ … Quand je l'ai connu (en 1972)‚ il exerçait cette dernière profession‚ mais à mi–temps‚ l'après–midi seulement. La nuit‚ il peignait toute la nuit et allait se coucher le matin‚ ne voulant pas connaître le matin parce que c'était le matin qu'on lui faisait les électrochocs … Quant à son métier de «soldat»‚ je n'y reviendrai pas‚ mais il faut savoir que c'était tout de même en pleine guerre d'Algérie et qu'il y était. Curieusement‚ il en a gardé un bon souvenir. La lumière de là–bas l'a vraiment frappé et il réalisa à Blida une grande toile dont il ne reste malheureusement qu'une photo. Le seul très mauvais souvenir qu'il garde de cette période militaire‚ c'est son retour‚ après 24 mois et une seule permission : trop heureux de retrouver une merveilleuse jeune fille qu'il aimait au point de vouloir l'épouser‚ il déchanta amèrement quand il sut qu'elle était enceinte. Traumatisme violent‚ accentué par un sentiment de culpabilité : lui–même avait été voir des prostituées en Algérie‚ il en avait été donc puni. Sa conscience rôdait en permanence comme une mauvaise compagne. Il pensa très franchement à rentrer dans les ordres‚ les Dominicains précisément‚ mais ses parents s'y opposèrent‚ bien sûr. Rancune‚ remords‚ culpabilité‚ sentiment de faute‚ échec … puis maladie : tout ceci s'enchaîne et se mêle dans une spirale qui ne s'arrêtera jamais …
J'ai des anecdotes merveilleuses de drôlerie‚ de piquant‚ voire d'incroyable; j'en dirai peut–être quelques–unes. Ce sont pour la plupart des historiettes vécues ensemble lors de nos journées de dessin à la campagne. Lui n'avait pas le permis de conduire et moi‚ j'allais le chercher le matin (parfois‚ c'était ma femme) dans cette maison des Hauts de Montchapet où nous sommes actuellement. Journées étalées sur 14 années‚ et avec un être comme Guy‚ il y a de quoi se forger des souvenirs ! Pour entretenir la légende et pour faire poids dans un plateau de la balance‚ je citerai quelques phrases de Guy‚ afin que vous compreniez mieux encore à quel point cet homme a eu deux vies‚ à quel point cet homme était «ailleurs»‚ malgré lui. Après‚ j'arrêterai‚ parce que je ne veux retenir que le côté « bonheur » de l'histoire et qu'il est même trop facile de s'appesantir sur le côté dramatique des choses. Voici par exemple : « Je trouve un travail dans une maison de confection (1961)‚ je gagne ma vie et travaille 10 à 12h par jour. Mais où est la peinture ? Je voudrais peindre et je laisse tout tomber ! Et voila l'ambulance qui vient me chercher une fois encore ! »
Autre chose‚ qui ressemble vraiment à du Guy Chambret :
« Des jeunes‚ des vieux tous mélangés
dans cette grande chambre! Un jour‚ j'ai trouvé de vieux bleus de travail dans un grenier‚
j'ai enfilé ces bleus et je me suis enfui de ce sale hôpital ! »
Ou bien encore :
« Je voulais
échapper à ce manège infernal‚ mais pour aller où ? Je partais sur les routes avec des valises
et quelquefois sans rien‚ sans argent ! On me faisait rechercher par les gendarmes‚ et allez‚
à l'hôpital ! »
Et aussi :
« Un jour‚ j'ai cassé une vitre pour m'échapper ! » « Les jours étaient
longs‚ très longs‚ j'avais froid aux pieds‚ je cherchais toujours à m'enfuir et j'avais défoncé
un barreau … »
Il y a des détails plus sordides encore que je ne dirai pas‚ mais tout de même‚ Guy‚ ça me plaît bien que tu sois un jour parti (enfui ?) en auto–stop à Paris‚ que tu aies dormi dans une « mangeoire à bêtes à cornes (sic) » à Vitteaux‚ tout ça pour te faire reprendre par les gendarmes‚ tout mouillé‚ sous la pluie ! « Je crois avoir passé la nuit dans une cellule » ! ( il n'en est pas vraiment sûr !! ). Quand les gendarmes t'ont interrogé‚ le lendemain‚ tu leur as dit que tu allais à Paris pour te marier avec … Sylvie Vartan. « Les gendarmes m'ont emmené directement à l'hôpital psychiatrique … » et Guy de rajouter‚ dans la naïveté qui a fait toute sa réputation par la suite : « C'est sûr que mes parents se sont fait du souci pour moi … ! » Il est important de savoir que Guy Chambret a connu ça‚ et bien d'autres choses encore‚ qu'il a enduré des moments insoutenables et qu'il a également vécu des moments de bonheur extrême. C'est ce contraste entre deux vécus qui ont façonné sa vie de peintre‚ la seule pour laquelle il ait‚ selon lui‚ vraiment existé !
Il est temps d'aller voir l'atelier‚ n'est–ce pas ? On y va‚ on y descend plutôt‚ puisque vous le savez‚ il s'agit d'une cave. Quelques marches étroites‚ en béton‚ qui tournent sur la droite‚ et voilà‚ on y est. Tout d'abord‚ vous êtes accueillis par deux colombes enfermées dans une petite cage de métal. Presque toujours dans une semi–obscurité‚ ces volatiles ont pourtant vécu longtemps‚ c'étaient ses compagnons de la nuit‚ auxquels il parlait d'ailleurs. On finissait par s'habituer aux continuels « Crou crououou !!! » que couvrait‚ la nuit‚ quand il peignait‚ la voix usée d'un vieux transistor constamment allumé. « J'écoute les émissions de la nuit qui me tiennent compagnie‚ surtout Macha Béranger qui parle directement à ceux qui l'écoutent … » Il lui écrivait parfois‚ pour la remercier. J'ai vu un tableau représentant ses deux colombes‚ car il aimait peindre les êtres et les choses de son entourage‚ sa pipe bien sûr avec le pot de tabac‚ la cuisine de sa mère‚ ses casseroles et autres ustensiles‚ reflets de la nostalgie des beaux moments de l'enfance. Il a même peint son lavabo‚ modeste et touchant dans sa banalité apparente. Ce tableau appartient à un de mes amis : au moins‚ je sais où il est … Tant d'autres se sont « volatilisés ! » Je l'ai vu peindre son Solex sur une petite toile !! Ce vélo‚ avec un moteur sur la roue avant‚ représentait son seul moyen de locomotion indépendant; il se sentait libre là–dessus et s'en servait beaucoup‚ même pour aller relativement loin.
Tous ces objets très ordinaires ne l'étaient pas à ses yeux‚ tout était à peindre. Lui–même avait cette humilité‚ n'étant envieux de personnes‚ se contentant de très peu. Il remerciait Dieu constamment (et Van Gogh) de lui permettre de vivre l'ordinaire de la vie comme un trésor permanent. « Je fais de la philosophie tous les jours‚ tout le temps et partout … même aux toilettes. » Faire de la philosophie avait pour lui une connotation religieuse‚ c'était « Aimer » en résumé. Pas besoin de diplômes donc.
Une fois dans l'atelier‚ mieux valait ne pas être trop grand; au–delà de 1‚80 m‚ vous courbiez la tête. Mais tête penchée ou non‚ vous étiez fatalement sidéré par le spectacle qui s'offrait à vous ! Ce n'est pas vraiment facile à décrire‚ parce que cela ne vous rappelait rien de connu dans le monde ordinaire. On était là dans celui de Guy‚ en plein ! Bien sûr‚ des tableaux d'abord ! Des tableaux partout‚ empilés‚ entassés‚ serrés comme des livres dans une bibliothèque. Il était difficile de savoir si c'était rangé‚ ou en vrac. Pour rejoindre le gros chevalet‚ vous n'aviez pas le choix‚ un seul petit passage‚ des toiles de chaque côté‚ comme un petit muret instable. Je ne sais si on voyait vraiment des tableaux de prime abord ! On voyait surtout de la couleur‚ une orgie de couleurs presque. Guy était un coloriste extrémiste‚ un « naïf‚ coloriste » disaient les spécialistes. Naïf‚ je ne sais pas et lui non plus. « Pas si naïf que ça » avait–il lancé au public un soir de vernissage … ! Mais coloriste‚ là c'est incontestable. C'était un peu comme si vous étiez à l'intérieur d'une de ses palettes !
Et Dieu sait si ses palettes étaient épaisses‚ chargées de matière‚ sculptées pourrait–on dire. Il ne les nettoyait jamais‚ ajoutant couches sur couches‚ sans jamais les salir. Elles ne viraient pas au « kaki » comme il eut été logique‚ non ! toujours rutilantes‚ elles étaient des œuvres d'art à elles toutes seules. ( Peut–être est–ce inconscient‚ mais j'ai gardé ça de lui‚ et procède de la même façon ). Chaque palette pesait environ 1 kg‚ car peignant très épais‚ il avait vite fait de les remplir jusqu'à saturation‚ et d'en remettre jusqu'à obtenir des reliefs incroyables ! Les palettes elles–mêmes s'empilaient les unes sur les autres‚ et le résultat obtenu avoisinait le surréalisme ! L'atelier n'était pas bien grand mais ce n'est peut–être qu'une impression finalement. Disons qu'il ne restait pas beaucoup de place pour bouger. Il n'était pas rempli‚ il était totalement plein. Une seule source de lumière naturelle‚ la fenêtre‚ ou plutôt le vasistas en éventail dont je vous ai parlé au début et que l'on pouvait voir de l'extérieur.
Le reste de la lumière tenait du miracle ! Comment une « installation électrique » a–t–elle pu résister à un tel montage⁄bricolage ? Il venait se greffer 3‚ 4 ou 5 prises de courant sur une seule au départ‚ celle–ci étant une sorte de bakélite datant des années 1960 et qui pendaient plus ou moins. Des fils électriques traversaient un peu partout‚ au sol et en hauteur. L'ensemble de l'atelier se trouvait bien éclairé (enfin … éclairage artificiel‚ jaunâtre ou blanc violent sur le chevalet) mais au prix de quel rafistolage de circonstance‚ et à quel risque ! Cela disjonctait bien de temps en temps‚ mais il suffisait de réenclencher le bouton‚ et ça repartait. Des bonnes fées devaient veiller car il n'est jamais rien arrivé de fâcheux. Une fois tout de même‚ il y aurait pu avoir le feu‚ mais c'est Guy qui‚ épuisé‚ avait somnolé et son mégot (car il lui arrivait de fumer des «Boyards»‚ cigarettes jaunes‚ papier maïs) était tombé sur des feuilles de dessin qui commençaient à se consumer … Mais non‚ … rien‚ et il en riait ensuite quand il vous le racontait. « Ici‚ j'ai frais en été‚ et chaud en hiver … ! » En effet‚ dans cette cave était installée une chaudière à fioul‚ des années 50‚ qui‚ non isolée et très bruyante quand elle se mettait en marche‚ avait l'avantage de chauffer l'atelier en même temps que les pièces de l'étage. Ce n'était sûrement pas économique‚ mais bien appréciable pour Guy.
Toujours assis dans un gros fauteuil d'osier‚ acheté à des marchands ambulants dans une rue de village lors d'une séance mémorable de dessin en plein air‚ Guy peignait. Sa façon de faire‚ ou « d'œuvrer » comme il disait‚ était toujours la même. D'abord le dessin sur la toile de lin‚ posée très bas devant lui. Dessin au fusain‚ parfois ou pastel sec‚ réalisé d'après des croquis faits « sur le motif » ou d'imagination quand il s'agissait de couples‚ de scènes d'atelier ou de cirque. Il ne s'aidait que très rarement de photos ou autres documents. Le dessin fini‚ très précis mais peu appuyé‚ était fixé à la bombe⁄laque‚ et c'en était fini pour la première phase de travail. La toile était mise de côté‚ et attendait‚ avec d'autres‚ l'étape suivante‚ quelques jours plus tard. Le désordre‚ apparent mais évident cachait en réalité une méthode de travail très précise et tout à fait au point.
Guy ne peignait pas une toile‚ non‚ il peignait des toiles‚ plusieurs à la fois‚ passant de l'une à l'autre avec une grande rigueur‚ et finalement une grande logique. Quand je dis plusieurs toiles à la fois‚ cela ne signifie pas 3 ou 4‚ mais plutôt 15 ou 16‚ ou plus !!! Il n'était un homme à la demi–mesure dans rien ! Ceux qui l'ont vu mettre la couleur sur la toile ont compris ce qu'était la création dans son intensité extrême. Il peignait lentement‚ touche après touche‚ ligne après ligne‚ et ne revenait que très rarement sur ce qu'il avait fait. C'était posé‚ c'était là‚ juste et définitif. Quelle vision impressionnante que de voir cet homme très calme‚ très serein‚ construire une œuvre ! … son œuvre au style unique et inimitable. On a pu croire que sa peinture était « facile »‚ que sa façon baptisée « naïve » relevait un peu du monde de l'enfance. On l'a écrit même. Que ceux qui ont pensé ça essaient de faire‚ d'inventer un « Guy Chambret » !! ( J'ai essayé‚ pour voir … )
Sa notion de perspective est invraisemblable‚ illogique‚ et pourtant‚ la construction de ses tableaux est parfaite‚ aucun déséquilibre‚ même en regardant dans un miroir pour inverser le dessin. Les couleurs sont pures‚ très peu de mélange‚ pas de glacis‚ peu de « fondus »‚ non‚ des tons posés les uns à côté des autres‚ ou les uns par–dessus les autres sans jamais se salir en se mélangeant. Je me suis rendu compte que les couleurs se répondaient parfaitement‚ qu'un bleu outremer posé en bas à gauche‚ par exemple‚ se retrouvait en haut‚ à droite‚ en moindre quantité‚ mais en écho‚ comme pour équilibrer tout. Quand vous aviez la chance de le voir en train de peindre‚ vous saviez que vous étiez face à la puissance créatrice pure et totale d'un homme à son zénith ! J'ai eu cette chance‚ presque ce privilège et j'en suis conscient. J'espère‚ Guy‚ que de là où tu te trouves‚ tu me vois en train d'écrire ces mots … La première étape pour faire un tableau était donc le dessin sur la toile et le stockage du dit tableau‚ avec d'autres dans le même état d'ébauche. C'est là qu'il vous disait‚ jovial jusqu'au fond de l'âme‚ les yeux brillants et fous d'une joie quasi enfantine : « Regarde‚ regarde‚ j'en ai 18 en route ! Je peins comme une locomotive … ! » Le mot est de Van Gogh‚ mais il l'avait trouvé tellement approprié qu'il l'avait adopté.
La deuxième étape‚ certainement la plus personnelle‚ celle qui faisait son style‚ la plus importante dans son originalité était celle que j'ai essayé de décrire plus haut‚ la mise en couleur. Qui dit : « Guy Chambret »‚ dit « couleur ». D'abord‚ avant tout et surtout‚ il était coloriste. Très exigeant quant à son matériel‚ il n'en changeait jamais‚ ce qui démontre la sûreté de son métier. Il ne cherchait plus ! en cela‚ il était un « maître »‚ ce qui était un acquis définitif. Il ne tolérait qu'une seule marque de peinture : « Fragonnard »‚ qui n'était pas la moins chère‚ bien au contraire‚ mais qu'importe‚ c'était ça ou rien. Une fois pourtant‚ plus tard‚ par souci d'économie‚ il avait essayé une autre marque‚ plus basique. Rien n'y fit‚ cela l'a complètement désemparé et les tubes sont restés en l'état‚ à peine ouverts … peut–être même jamais refermés‚ perdus … ! Pour les brosses‚ c'était pareil : uniquement en poil de martre‚ les plus chères une fois encore‚ mais jamais il n'en eut d'autres. Il les usait très lentement‚ c'est vrai‚ puisqu'il « posait » de la matière sur la toile et ne la frottait pas. Sa manière de faire était en cela très délicate‚ très douce‚ comme tous ses gestes quand il était assis à son chevalet. Pour le diluant‚ grosse économie par contre (mais ce n'était pas le but)‚ du « White Spirit »‚ c'est tout. Ni essences‚ ni médiums‚ ni produits particuliers. Pas besoin. Les toiles‚ dessinées‚ puis peintes étaient mises en attente suivant le rituel déterminé et mis au point avec une grande précision.
On aurait pu penser que sa peinture avait un côté improvisé et rapide parce que la technique classique de « l' Art de peindre » n'était pas respecté dans ses principes. Il connaissait pourtant les fondements de la technique de la peinture à l'huile‚ fondements qu'on lui avait enseignés et qu'il avait parfaitement maîtrisés‚ pendant les 4 ans « à plein temps » qu'il avait passé aux Beaux–Arts. Je peux en attester car j'ai vu des œuvres de cette période‚ classiques comme on en exigeait à cette époque ! Il était toujours excellemment noté et très fier des commentaires de ses professeurs qui étaient des gens exigeants et peu portés sur la fantaisie. J'ai vu‚ et j'ai chez moi d'ailleurs‚ une gravure qu'il fit en 1955 d'après une œuvre de Dürer‚ rien de moins! Exécutée avec une sûreté de main implacable‚ rigoureusement réaliste‚ on n'y décerne aucune trace d'à peu près‚ et encore moins de naïveté ! Il aura mis du temps à devenir le peintre qu'il a été‚ il aura mis du temps à simplifier son dessin‚ jusqu'à en inventer un qui ne pouvait appartenir qu'à lui. Je l'ai souvent vu faire : il ne levait pas le crayon ou le pinceau tant il était sûr et maître de lui. Sa main exécutait une sorte de ballet très élégant (il avait les mains fines …) et le dessin courait sans s'arrêter. Un personnage était commencé. Il était fini avec le même trait‚ ininterrompu. Le plus impressionnant à voir‚ car c'était un spectacle‚ était le manque d'hésitation dans l'acte. Le dessin devait être déjà imprimé dans son cerveau et il l'exécutait sans retouche‚ comme l'eut fait une machine à reproduire‚ lui qui était si humain … ! On comprend que Picasso ait dit qu'il avait mis 50 ans à apprendre à peindre comme un enfant ! Donc‚ la toile est peinte‚ et elle attend quoi ? Direz–vous !
les deux Pierrot |
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La troisième étape‚ que voici expliquée : il s'agissait de finir le dessin dont je viens de parler‚ dessin peint avec une brosse ( … en martre) relativement étroite. Quand je parle ici de dessin‚ je veux parler des contours‚ de cernes; en effet‚ tout était « entouré »‚ personnages‚ animaux‚ natures mortes‚ maisons‚ chemins … tout sauf les feuilles des arbres et les fleurs quand elles étaient petites. Une couleur unique pour les cernes : le bleu de Prusse. Il ne changeait que dans un seul cas : cerner du bleu de Prusse ! Il est incroyable de constater que cette peinture si libre‚ non conventionnelle‚ arbitraire en tout‚ est en réalité le résultat d'un cérémonial quasi–maniaque et qu'il ne changea jamais. La signature elle–même avait grande importance dans sa forme‚ sa teinte et son emplacement sur le tableau. Au dos de la toile‚ il contresignait et écrivait le titre – parfois très long et détaillé – ainsi que la date‚ au jour près. Le tableau attendait au minimum 4 mois avant d'être verni à la bombe‚ vernis satiné toujours.
Dans l'atelier‚ vous pouviez voir tout ça‚ même dans le désordre et vous étiez finalement impressionné‚ ayant conscience d'être … ailleurs ! C'était une impression étrange‚ surtout au début‚ car vous aviez l'impression d'être à l'intérieur de l'intimité d'un être‚ celui–ci étant un créateur. Ce qui est assez rare dans l'ordinaire de la vie‚ et qui plus est‚ un créateur proche de ce que l'on peut appeler « le génie » – disons une forme de génie – ce qui est plus rare encore. Ceci explique qu'on n'avait pas envie de quitter cet endroit hors du commun‚ hors du temps aussi‚ hors du monde et des gens … Il fallait tout voir‚ ce qui n'était pas possible dans le détail‚ et quand Guy‚ avec ses yeux illuminés comme ceux d'un enfant‚ vous disait‚ comme pour en rajouter‚ mais l'air de rien : « il y en a encore beaucoup d'autres dans une petite pièce en haut … ! » Vous en restiez abasourdi‚ ayant même un peu de mal à le croire. Trois endroits ! il y en avait trois où étaient entreposées « toutes vivantes » les toiles de Guy Chambret‚ car il ne faut pas oublier l'appentis adossé à l'autre maison‚ celle d'à côté‚ celle de ses parents … !
La peinture à l'huile n'absorba pas toute la prodigieuse énergie artistique de Guy. Il dessinait régulièrement‚ faisant des croquis de la campagne environnante‚ ou encore des scènes de cirque qu'il aimait tant‚ et encore et surtout des compositions symboliques emplies d'amoureux dont le point de départ était toujours lui et la « Bébée »‚ ou lui et d'autres femmes qu'il avait connues et qui peuplaient ses rêves. Souvent il leur offrait des fleurs‚ des marguerites … Comme en tout ce qui concerne son art‚ il apportait à son dessin une maîtrise de style et une extraordinaire facilité technique. Une bonne partie de son œuvre graphique ou typographique comme en témoignent ses monotypes à l'encre imprimés à partir d'une plaque de cuivre‚ est aussi puissante que ses meilleures toiles. Les lignes étaient sinueuses comme des serpents‚ les traits hachurés se terminaient en des contours qui semblaient vivre. Il dessinait au fusain quand il était dehors (à l'ombre sous un chapeau de paille)‚ parfois au pastel pour les séries comme les personnages‚ et souvent aussi‚ comme je l'ai dit par la technique du monotype typographique qu'on lui avait enseignée aux Beaux–Arts et qu'il s'était appropriée avec un brio magistral et unique.
Les monotypes de Guy étaient de 2 natures‚ ceux uniquement dessinés sur de l'encre typographique recouvrant une plaque de cuivre‚ et ceux qui étaient peints‚ à la peinture à l'huile sur une épaisse plaque de verre. Les premiers‚ très délicats‚ en noir et blanc‚ avec des effets de stries dus au fait que Guy se servait aussi‚ pour dessiner‚ d'un peigne ( … de femme) pour rajouter des volutes en mouvement par–dessus son dessin initial. Les autres‚ qui ont beaucoup contribué à son originalité et‚ disons–le‚ à sa célébrité‚ étaient empâtés de peinture au point de ressembler à des bas–reliefs. Il posait sur une plaque de cuivre des quantités incroyables de peinture‚ jusqu'à un centimètre‚ plus peut–être‚ que des couleurs pures‚ parfois directement du tube à la plaque de verre. Mais avec quelle virtuosité‚ quelle maetria! Lui seul pouvait savoir exactement où il en était dans l'avancement de sa « peinture »‚ parce que l'œuvre finale‚ quoique parfois relevant de l'Art brut et abstrait‚ demeurait malgré tout figurative dans sa perception.
Il s'agit là d'un exercice qu'il est le seul à savoir mener au bout‚ personne ne l'a égalé. Une feuille de papier Canson‚ souvent de 65 x 50 cm‚ était posée sur la plaque de verre recouverte de cette épaisse matière colorée‚ comme un feu d'artifice‚ pour être imprimée. Posée‚ appuyée contre la plaque‚ puis retirée‚ arrachant au verre une partie de sa matière. L'effet rendu était prodigieux‚ un magma de couleurs arrachées ! Une deuxième feuille de papier Canson venait tout de suite remplacer la première‚ tant il restait d'épaisseur de peinture sur la plaque de verre ! Cela formait un deuxième tirage‚ tout aussi coloré que le premier‚ mais juste un peu moins épais. Et une troisième feuille‚ une quatrième… Jusqu'à 8 ou 9 feuilles pouvaient être imprimées ainsi à la suite‚ sur la même plaque de verre. Les dernières impressions n'avaient plus de matière‚ juste de la couleur devenue pale parce qu'il ne restait quasiment plus de peinture sur le support de verre. Qu'importe ! Guy les « rehaussait » au pastel ou parfois au feutre (hélas … bien sûr‚ le feutre n'a pas tenu dans le temps) Il ne restait plus qu'à effacer ce qu'il restait de matière sur la plaque avec du « White Spirit » et c'était fini en une seule nuit‚ à chaque fois‚ puisqu'il fallait imprimer le papier avant‚ bien sûr‚ que la peinture ne sèche. Il s'agissait là d'une prouesse étourdissante‚ résultat d'une maîtrise parfaite d'un travail unique et puissant. Des cartons à dessins regorgeaient de ces monotypes‚ par dizaines. Il fallait parfois prendre garde à ne pas marcher dessus.
Vous avez maintenant une idée de ce que pouvait être cette « cave »‚ où pas un centimètre carré n'était laissé vide. Là où les toiles ne trouvaient plus de place‚ faute d'espace‚ étaient punaisées des photos de tableaux des peintres préférés de Guy. Van Gogh bien sûr‚ mais pas uniquement. La plupart des impressionnistes étaient ses amis‚ ses voisins de murs. On pouvait lire aussi‚ écrites en lettres capitales bien appliquées comme pour un devoir scolaire‚ sur des petits morceaux de carton‚ des phrases bibliques ou des maximes faisant office de rappel à l'ordre.
J'ai vu aussi‚ écrit aussi par ses soins sur un papier‚ en hauteur comme une liste‚ le verbe « peindre » conjugué à tous les temps‚ à la première personne du singulier ! Une petite étagère était arrivée à prendre place contre ce qu'il restait d'un mur‚ toute remplie de livres d'histoire de l'art‚ Guy avait beaucoup de connaissances en la matière. On en parlait beaucoup entre nous. Un jour que « la Bébée » lui avait offert un gros livre sur les peintres naïfs‚ il me dit après l'avoir bien compulsé : « Il en manque un … ! » C'était touchant à entendre‚ comme étaient touchants certains moments vécus avec lui pendant les grandes journées de dessin à la campagne‚ par exemple. Je me souviens d'un oiseau qui‚ du haut du ciel‚ avait lancé une déjection‚ pile à l'endroit où il allait mettre sa signature‚ en bas du dessin. « Bon‚ Hé bien … L'oiseau a signé à ma place … ! » et il partit dans un rire sonore‚ à n'en plus finir‚ mort de rire ! Dans les bons moments‚ Guy aimait beaucoup rire‚ et l'on sentait que ce n'était jamais forcé ; parfois‚ il riait même tout seul‚ se rappelant une anecdote ou une histoire vécue auparavant.
Voilà pourquoi on était bien en sa compagnie‚ comme on est bien avec ceux qui vivent leur nature sincèrement‚ sans arrière–pensée (il en était incapable) et vous la communiquent. Les moments passés dehors‚ à dessiner en sa compagnie‚ sont parmi les plus intenses que j'ai vécus‚ les plus rares aussi. Ce furent des journées privilégiées‚ de celles qu'on ne peut pas reproduire tant elles sont uniques et délicieuses. Deux croquis le matin‚ un pique–nique à midi suivi d'un café au bistrot du village s'il y en avait un. Parfois‚ c'était les habitants qui nous invitaient chez eux‚ heureux qu'ils étaient de trouver de la distraction avec deux originaux qui dessinaient leur maison. Deux autres croquis l'après–midi et la journée était faite. Il disait : « Je suis plus heureux qu'un ministre‚ je voudrais que ça ne s'arrête jamais … ! » ou encore « c'est comme si j'avais passé une semaine de vacances … ! » et le répétait à quiconque voulait bien l'entendre par la suite …
Pendant le temps du dessin‚ il y avait aussi des « discussions philosophiques »‚ sur tous les sujets‚ entrecoupés de silences dont on avait besoin. On savourait tout‚ intensément‚ seuls au monde‚ et c'est ce qu'il pouvait nous arriver de mieux. De quoi avions–nous besoin‚ dans ces moments exceptionnels ? Tout n'est pas dit‚ non‚ mais j'ai tenté de résumer ce que j'avais à faire partager sur mon ami Guy. Je garde des choses pour moi. J'ai révélé l'essentiel pour aider à mieux connaître qui il fut vraiment. Il y aurait certainement des faits‚ des interprétations à rectifier‚ à préciser ou à rajouter. Cette visite faite à mon ami est un survol qui‚ j'espère‚ donnera envie de le connaître plus avant‚ à travers les œuvres qu'il a laissées et qui témoignent. L'atelier était un dictionnaire personnel où les tableaux‚ les dessins‚ les monotypes mais aussi les objets‚ les écrits … s'empilaient les uns sur les autres pour former une sorte d'encyclopédie résumant cette vie si dense.
Une présence intime‚ de celle qui ne se voit pas‚ venait s'ajouter au « ressenti » de l'endroit comme un habitant supplémentaire … Le mélange d'odeurs de pipe‚ d'huile‚ d'essences‚ de vernis … par exemple. On s'y habituait vite‚ tout paraissait normal ici‚ vu que rien n'y était vraiment. La sensation d'entrer dans un monde « autre » était réelle et non une simple image convenue. On était curieux‚ à chaque fois‚ de retrouver cet endroit‚ autant qu'on le quittait à regret. Cette cave⁄Atelier a vu passer beaucoup de monde‚ malgré tout‚ malgré les filtres qu'il fallait traverser. Beaucoup de ses amis‚ de peintres‚ de journalistes aussi ont pénétré ce sanctuaire de l'Art dans son intimité. L'endroit était connu‚ mais beaucoup n'osaient pas.
Ce serait injuste d'omettre de dire que Guy a été quelqu'un de connu dans le milieu artistique régional. Il n'a jamais laissé indifférent ceux qui l'ont côtoyé‚ aussi bien l'homme que l'œuvre‚ comme tout ce qui est puissant‚ en restant marginal. Et cette marginalité l'a empêché de prendre un élan national qu'il aurait mérité. La presse locale l'a parfois encensé‚ lui consacrant des articles élogieux‚ certaines fois des pages « en couleurs ! » comme il aimait dire. Un certain public est entré dans son univers‚ et s'est identifié à lui. Ceci est une preuve d'un talent extrême et unique‚ parce que‚ ainsi qu'il le disait lui–même‚ « ce n'est pas commercial ! ». Son œuvre n'a pas été maudite‚ même si elle a été un peu « méprisée » par certains. Revenir 12 fois en 24 ans en une même galerie à Dijon‚ avec un peu le même public‚ et connaître un succès grandissant‚ jamais démenti‚ est une gageure que de rares peintres réussissent … et peu de galeristes … ! Mais‚ bon‚ il nous faut partir maintenant et laisser travailler Guy qui va se permettre le privilège inouï‚ de traduire sur toile un épisode de la passion du Christ‚ pendant que beaucoup d'autres vont goûter aux joies des émissions de variétés !
Salut l'Artiste‚ tu as peint et dessiné autant que tes forces te l'ont permis‚ jusqu'au bout de toi–même.
Tu as choisi ta mort‚ mais tu n'as pas vécu pour rien.
Salut‚ Guy.
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Merci, Georges. G.C. et C.G. |